samedi 13 septembre 2008

5- Les Allemands et la république, 1919

" (...) L'Allemagne sera-t-elle longtemps une république, si impérial que soit le visage que cette République s'est donné ? Là-dessus les opinions diffèrent. Parmi mes interlocuteurs, plusieurs accordent au gouvernement actuel des chances de durée, s'il se concilie les partis bourgeois qu'une nouvelle révolution (1) effraierait. L'Allemagne glisserait peu à peu au régime démocratique et républicain avec des cadres empruntés à la monarchie et [le régime] s'installerait insensiblement dans les meubles de la royauté.

Les autres sont d'un avis contraire. On ne change pas, disent-ils, en quelques mois les institutions dans lesquelles une nation aussi moutonnière que la nation allemande a vécu enfermée ni le pli séculaire que son passé lui a imprimé. La monarchie est le régime naturel que regrettent aujourd'hui non seulement la noblesse, les militaires et la classe bourgeoise, mais toute la population paysanne et une partie même de la population ouvrière. On ne veut pas, bien entendu - en dehors de quelques hobereaux incorrigibles - d'un régime aristocratique soustrait au contrôle du parlement. La monarchie serait donc constitutionnelle et parlementaire. (...) Que représente la monarchie aux yeux des Allemands ? L'époque heureuse où l'argent coulait à flot dans l'Empire, où ils avaient en abondance de quoi manger à leur faim (...), le temps où l'administration, encore que tracassière et inquisitoriale, les mettait à l'abri des grèves, de toute interruption de la vie économique et de toute perturbation de la vie sociale (...). Que représente d'autre part la république ? L'humiliation et l'insécurité du présent avec la crainte d'un lendemain gros de privations et de souffrances. N'allez pas vous imaginer que le Michel (2) allemand fasse peser sur la tête du Kaiser la responsabilité de la guerre qui a mis fin à son bonheur et le poids du désastre national. Vous savez bien que pour cet esprit obtus et simpliste, endoctriné comme il l'est par ses maîtres, les vrais coupables sont les Français, les Anglais et le Tsar russe, ces ennemis jaloux de la race germanique. (...) "


1) En janvier 1919, les communistes allemands (les " Spartakistes ") tentèrent à Berlin une révolution qui fut réprimée dans le sang.

2) Personnage mythique incarnant l'Allemand moyen.


Baron BEYENS, " Impressions de Berlin ", in Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1919, rapporté par Jacques BARIÉTY, République de Weimar et régime hitlérien 1918-1945. Tome 3 de l'Histoire de l'Allemagne dirigée par Jacques DROZ. Paris, Hatier, 1973.